On dit qu'un système est chaotique lorsque son évolution dans le temps est tellement sensible aux conditions initiales que l'on ne peut prédire exactement dans quel état il va se trouver si l'on attend trop longtemps. L'atmosphère terrestre en est un exemple quotidien. C'est parce que sa dynamique est chaotique que les météorologues ont tant de mal à faire des prévisions convenables au delà d'une petite semaine. Même si l'on connaissait parfaitement les équations qui gouvernent l'atmosphère -- ce qui est loin d'être le cas puisque de nombreux effets très complexes rentrent ici en jeu (influence de la réverbération des nuages, des courants océaniens, voire de l'activité solaire, etc.) -- l'imprécision inévitable des mesures pour déterminer, par exemple, la vitesse des vents ou la température en chaque point du globe (d'ailleurs les stations météorologiques chargées de faire automatiquement ces mesures ne sont pas si nombreuses) font qu'il existera toujours une grande incertitude sur l'évolution ultérieure de la météo. Bien sûr, on peut néanmoins faire des statistiques et avoir une connaissance moyenne sur l'état de l'atmosphère à long terme. On sait aussi que de grandes tendances se dégagent : il est a peu près certain qu'il ne neigera pas sur Tours en juillet 2064. En revanche, prédire le temps dans le détail ne serait-ce que quelques semaines à l'avance nécessiterait en principe la connaissance de la vitesse de l'air en chaque point séparé de quelques centimètres ! C'est le fameux << effet papillon >> : le battement d'une aile de papillon sur le campus de Grandmont est susceptible de provoquer au bout de quelques mois une tempête tropicale sur Singapour.
Il n'est pas indispensable d'avoir un système aussi complexe que
l'atmosphère pour avoir du chaos. Il existe des exemples beaucoup plus
simples, dont les équations d'évolution
sont parfaitement connues (par exemple en écrivant la relation fondamentale
de la dynamique), et qui restent néanmoins très sensibles
aux conditions initiales. Historiquement, le premier cas de
comportement chaotique a été mis en évidence par
HENRI POINCARÉ
il y a un siècle. On savait alors
résoudre les équations du mouvement de deux corps célestes
s'attirant par la gravitation ce qui permettait de comprendre
avec une bonne approximation la forme
elliptique des orbites des planètes autour du Soleil, les trajectoires
hyperboliques de certaines comètes, etc. Pour avoir de meilleures
prédictions, il fallait cependant inclure l'influence gravitationnelle
des planètes entre elles c'est à dire étudier la dynamique non plus
de deux corps considérés comme isolés du reste du système solaire
mais d'un plus grand nombre de corps à la fois.
Poincaré a démontré l'impossibilité de prédire à long terme
la position de trois corps en interaction gravitationnelle comme
le système Soleil, Terre, Lune.
Une petite incertitude sur la mesure de la vitesse et de la position
de ces derniers à un instant donné peut se répercuter de façon
dramatique sur la prédiction de
leur évolution dans quelques millions d'années.
Même si l'influence des autres planètes était négligeable
on est incapable de prédire
quand, par exemple, la Lune sera éjectée
du système solaire mais d'un autre coté on est à peu près certain
qu'elle le sera.
De façon générale, pour déterminer les
trajectoires des particules d'un système, il ne suffit
pas de connaître leurs équations du mouvement
mais
encore faut-il connaître les conditions initiales (position et vitesse
de chaque particule). Physiquement il existe toujours une petite incertitude
sur ces dernières due à l'imprécision des mesures.
Dans des systèmes non chaotiques (on les appelle systèmes réguliers)
une petite erreur n'a que peu d'influence sur le mouvement
alors qu'au contraire
dans les systèmes chaotiques, par définition, une petite
cause peut avoir de grands effets. Typiquement dans un système
régulier deux trajectoires séparées initialement
d'une petite distance
seront séparées au bout d'une
durée t de
où k est une constante de proportionnalité dépendant du système.
Les trajectoires se séparent de manière proportionnelle au temps.
En revanche dans un système chaotique on
aura
.
La constante T étant positive
la séparation des trajectoires sera beaucoup plus rapide que
dans le cas précédent. Même si
est petit
croît de façon exponentielle et les prédictions deviennent vite
impossibles au bout de quelques T.
Pour ces raisons on ne peut pas écrire de façon explicite la solution générale des équations du mouvement comme on le fait pour une particule libre, un oscillateur harmonique (masse attachée à un ressort) ou encore pour deux corps en attraction gravitationnelle. Il n'existe pas pour trois corps l'analogue des lois de Kepler. Ces dernières ne sont qu'approchées au lieu d'être exactes. C'est pourquoi au niveau des premières années universitaires, les étudiants de mécanique ne rencontrent pratiquement que des systèmes réguliers.
Pourtant ces derniers sont largement exceptionnels et si l'on prend un système << au hasard >>, il a toutes les chances d'être chaotique. Depuis POINCARÉ, la recherche sur ces systèmes s'est très fortement développée surtout depuis l'avènement de l'informatique qui est souvent le seul recours pour calculer des trajectoires complexes. Quasiment l'ensemble des domaines scientifiques (biologie, chimie, économie, informatique, mathématiques, physique) a été impliqué dans l'étude du chaos. Il a fallu comprendre les conditions dans lesquelles il apparaît ou au contraire dans lesquelles il peut être négligé, quels systèmes sont véritablement concernés et quelles sont les conséquences de la présence du chaos. On a pu également trouver des points communs entre systèmes n'ayant a priori rien avoir les uns avec les autres. On a aussi appris a mieux maîtriser les approximations, à développer des approches probabilistes, bref à ordonner ce qui pouvait au départ ressembler à du désordre inextricable.